Par miettes, tout au long d'une année, je pose à petites touches l'histoire d'une robe.
De la robe de l'année.
C'est ma rémanente madeleine, et je sais qu'a l'instant scellé viendra alors le plaisir de vous la montrer.
Muette par nécessité, je vous en parle à mots voilés quand le montage définitif m'occupe alors assez pour vous oublier partiellement.
Parfois cela me titille assez pour que je lève un coin de voile, mais par discrétion j'en reste là.
Mes relations avec "mes mariées" flirtent avec l'émotionnel. Je suis toujours saisie par le don qu'elles me font. Je rentre dans leur intimité . Je sais tout de la cérémonie à venir, et pendant que je les mets à nu pour mieux les parer, serviteur de l'ombre, j'écoute les secrets d'alcôve, et souvent y prends part.
"Mes" mariées me restent en mémoire. Elles ne sont pas des clientes ordinaires, d'abord parce que je m'offre ce plaisir chronophage qu'une fois l'an et parce que nous passons beaucoup de temps ensemble.
Infiniment je les respecte.
Aussi abscons que cela puisse paraître, leurs désirs sont des ordres et docilement , dans la mesure du raisonnable, je me plie à leurs demandes.
Ma mariée du mois de juillet, comme les autres, est de celles que je n'oublierai pas.
Belle, simple, lumineuse et gaie, nous partageons des moments complices, elle me fait confiance et ensemble, nous élaborons sa robe.
Peu importe si la technique d'un profond décolleté dans le dos associé à une absence de couture sur tout le corsage de la robe me demandera des heures supplémentaires de réflexion. Refaire trois fois un corsage intérieur ne me trouble pas et poser 13 mètres de dentelle sur un voile me permet de rêver plus encore à la surprise que nous allons provoquer.
A la date de la noce, j'y pense encore. "Ne sera t'elle pas trop serrée ? Ah, mais nous aurions dû refaire un essayage ! Lui ai-je bien donné la petite boite avec des boutons supplémentaires ? Et cette bride, ne l'ai-je pas faite trop lâche ? Le jupon, je crois que le jupon risque d'être trop long….Si jamais elle avait perdu un ou deux kilo dans l'attente et la nervosité….Et si les enfants du cortège venaient à trop tirer sur les dentelles ?"
J'y pense. C'est mon bébé.
J'ai eu une fois un coup de téléphone, entre la messe et la réception, d'une mariée à qui j'avais, par obligation, rendu la robe deux longs mois avant le mariage, qui me demandait de venir resserrer des boutons. Elle avait perdu un poids considérable, le bustier glissait. Sans que personne n'y prenne garde, nous nous sommes éclipsées et pendant une heure, sur elle, j'ai poussé une trentaine de petits boutons sphériques.
Loin d'être un sacerdoce, mon rôle est une réjouissance. J'ai offert plusieurs fois mes services à des proches ainsi que les heures de travail nécessaires à l'élaboration complète d'une robe de mariée un tant soit peu spectaculaire….Et ma rémunération pour un tel ouvrage, parce que j'en ai décidé ainsi vous ferait sourire tant je brade mes heures.
Il m'arrive de me réveiller la nuit pour gribouiller une idée et le rendu, bien qu'émouvant reste toujours un soulagement.
Ma robe de juillet, vous ne la verrez pas.
Une créatrice , logiquement est narcissique et il en va de sa fierté de partager son travail.
Si "ma mariée" ou son entourage, malgré la satisfaction du travail accompli en a décidé ainsi, c'est qu'elle a une raison qu'il n'est pas à discuter.
Si cette décision vous semble obscure, si vous pensez qu'il ne dépend que de moi de montrer mon travail, qu'une professionnelle doit passer outre ce genre de caprice , que le partage même de son travail est la pierre angulaire du contrat de confiance avec de futures clientes, vous avez certainement raison.
Mais il m'est un principe pour ainsi dire irréfutable : Je garde pour acquis que "ma mariée" est reine. Nous partageons tant de choses que pour elle, comme pour moi, l'histoire doit rester belle.*
Ces quelques croquis gribouillés en retour de week-end vous donneront une idée de ce travail, dont le point final reste et restera malgré tout … Reconnaissance.
Robe de mikado de soie -15 mètres-
Bustier intégré, plongeant et volume au dos.
Traine amovible de 3 mètres tenue par une série de boutons sphériques de 10 ⊘.
Garniture du corsage et du voile dentelle mécanique.
Voile de 6 mètres.
***
Édit - J'ai écrit ce texte tard dans la nuit. Bad mood ce matin. Mon mari énervé par l'histoire me sert un "pleutre" qui me laisse froide. Je pars me vider la tête par les baskets et je peine à courir une demi-heure. Jour of. J'ai un petit vélo dans la tête et Lucifer et Gabriel bataillent à coup de blanc et de noir.-Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours- ( La Rochefoucauld)