C'est en retournant des années plus tard sur les lieux de notre enfance qu'on réalise combien elle sont nombreuses les perles du souvenir, de l'enfance heureuse et lumineuse dans le jour perpétuellement clair de l'âge insouciant.
Nice était un passage. Je ne me souviens d'aucun nuage. J'ai des souvenirs de Bordeaux d'où nous arrivions. Mais c'est à Nice que naissent les souvenirs sans approximation.
En y séjournant, consciente ou vagabonde, je tombe immanquablement sur des miettes de madeleines.
Le souvenir s'impose et en appelle d'autres enfouis presque oubliés parce qu'insignifiants.
L'âge peut-être ? Je deviens trop mûre. Besoin de se raccrocher aux branches.
Combien d'allers, de retours, d'aller-retours et de détours sur la Prom criblée des trous des talons aiguilles de nos mères aux ongles parfaitement peints.
Je piste ces vestiges du temps de mes gadins de patineuse à roulettes mais le front de mer est lisse désormais . Perfection du front de ma mère à l'époque de nos promenades sur les galets.
Les niçoises se racornissent aux premiers rayons de soleil . Elles nous intriguaient et m'étonnent encore. Noires et desséchées, parfaitement immobiles, imperceptiblement pourtant déplaçant leur couenne à la façon d'une fleur de Tournesol . Phototropisme d'élégantes qui finissent flétries au mois de septembre.
Le quartier que nous habitions me parait plus populaire qu'il ne l'était avant. Mais l'immeuble est toujours le plus beau de la rue. Façade Turinoise d'oxyde jaune et persiennes aux tonalités froides. Le jardin privé du rez-de-chaussé abrite toujours un grenadier flamboyant. La gentille dame propriétaire nous offrait une grenade parfois et je mordais dans le fruit défendu, irrésistible et bourré de pépins.
L'école se dévoile au coin de la rue. Sur le trajet le grossiste en confiserie n'est plus. Le chemin perd de sa saveur.
Ma copine Vanessa avait les oreilles percées, comme toutes les petites filles niçoises dans les années 80. Je me collais des minuscules carrés de plastique hologrammé autocollants ridicules et je me persuadais d'être des leurs. Des cassettes de Rose Laurens et de Cookie Dingler se refilent sous le tee-shirt fluo démesuré Waikiki. Dépourvue de transistor, drame absolu, je suis condamnée à écouter les tubes qui me parviennent étouffés à travers le plancher de la chambre du voisin adolescent et très à la page.
Je reconnais la maison de ma copine Claire. Celle qui était très très intelligente et qui jouait du violon. Pas comme Vanessa, experte en pipeau.
Claire me racontait Fantômette que j'avais la flemme de lire. Nous nous faisions des cabanes sous la table de la salle à manger et nous y invitions sa chienne Husky tandis que sa maman nourrissait la colonie de Mandarins colorés en piaillant du Hugues Aufray.
En grimpant sur les hauteurs de Cimiez je revois l'appartement grandiose, rose boudoir aseptisé d'une fille qui m'a tellement marquée que j'en ai oublié le prénom et le visage. Je me souviens de sa chambre moquettée et parfaitement ordonnée et des sujets de pâte d'amande pour le goûter.
L'horizon me porte vers la mer. Transparente et calme. Sur la presqu'île du cap Ferrat, nous dénichions un coin tranquille. L'air faussement dégagés nous enjambions les corps largement exposés des nudistes impassibles qui nous barraient le chemin, étalés de toute leur grotesque et indécente mollesse pour aller se poser plus loin encore et c'est accrochés à un bout de rocher que nous posions un coin de fesse pour nous délecter des Pan Bagnat préparés par ma mère.
Je ne peux pas passer à Nice sans manger au moins une fois un Pan Bagnat. C'est viscéral. Ils me ramènent immanquablement vers le cap Ferrat, le vestige de ce tout petit port à l'eau cristalline truffée d'étoiles de mer et d'oursins et où ne s'amarrent plus que des moules rescapées d'une pollution, qui fut trop longtemps galopante pour qu'on y vienne à bout en une génération de bons sentiments.
C'est ici que j'ai appris à nager. Les facettes acérées des rochers ne me laissent pas un souvenir d'une douceur impérissable, mais je dois à cette méthode d'apprentissage un peu rustre de ne jamais avoir peur…de me jeter à l'eau.
Début mars ici, il est préférable de prévoir maillot et combi de ski. Une journée sur les pistes du Mercantour, un pique-nique en bord de mer bikini de sortie. A Gréolière il n'est pas rare de voir des coquettes préoccupées par leur bronzage parfait d'un bout de l'année à l'autre skier en balconnet…Avec vue dégagée sur mer.
Il fait 18 degrés sur les pistes d'Auron. La neige est d'une qualité rare. Elle est tombée pour nous, 24 heures avant notre arrivée. Sur la route de la Tinée, en montant vers les stations, mon regard se porte sans préméditation sur cette façade décrépie de boulangerie de bord de route. Un peu embrouillée, comme coincée aux entournures par un souvenir trop lourd à télécharger je me retourne après la bataille alors que nous arrivons deux kilomètres plus loin à Saint Sauveur. Mon conducteur fait demi tour de bonne grâce et j'entre dans l'antre de l'un de mes meilleur souvenirs gustatif. La boulangère est la même. Elle fait le service depuis 42 ans. Elle était alors accompagnée de sa mère. Fougasse aux anchois, pissaladière, pizza généreuse. Les mêmes produits simples et gourmands , et la brioche tressée qu'elle offre à l'enfant de 8 ans que je suis redevenue face à tant de souvenirs émergents. Je rage de n'avoir pas pensé alors au thermos de Viandox et aux berlingots de lait concentré sucré qui bourraient nos poches.
Réparation faite au retour avec un détour indispensable au supermarché pour étancher ma soif de flash-back et me marrer devant l'expression de nausée teintée de perplexité de mon homme et des enfants. De mes premières descentes à ski, j'oublie délibérément les interminables leçons préliminaires sur l'art de la conversion sans la maîtrise de laquelle nous ne pouvions être lâchés, exercice totalement improbable avec les skis de 2 mètres qu'on nous collait du haut de nos 130 cm l'air entendu du complot sadique, gages de descentes stylées et parfaitement maitrisées…
Je refais mes valises, consciente de laisser quelques souvenirs inexplorés.
La vallée des merveilles, les visites chez l'élégante tante de Grasse, carnaval avec les cousines et les promenades sous les Eucalyptus.
J'y retournerai, assurément, hors saison, pour y revoir Galéa, le rocher, les oliviers et les mimosas et pour courir de plaisir sur la corniche face à la mer, à respirer par goulées gourmandes les souvenirs dont m'assure la côte.
15/03/2014
27 commentaires:
Je sais que ce n'est pas si simple d'ajouter un commentaire sur blogger.
Je n'arrive parfois pas à vous identifier, et donc...à vous répondre!
Pour celles qui ont un blog, il faut cliquer sur "nom,url" et rentrer son pseudo et son adresse de blog (ou de site).
Pour les autres, "anonyme", et petit nom au bas du com (ou pas)
Plus d'excuse!
…La recrudescence des spam m'oblige à vous imposer l'épreuve supplémentaire de la "vérification des mots". J'en suis navrée.
En vous remerciant pour votre visite!
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Oh qu'il est beau ton texte...Je suis toute émue, vraiment...
RépondreSupprimerOui, ton quartier d'enfance est plus populaire qu'il ne le fut, mais tu as raison l'immeuble règne encore dans la rue...
Mes filles pourraient parler comme toi un jour...et puis la vallée de la Tinée (où je vomis une fois sur deux), la boulangerie dans le virage, le ski et la mer ...tout est juste, tout est beau...il est parfait ton billet.
Un régal ton texte Sophie!!!
RépondreSupprimerbravo cela ressemble un peu au début d'un roman...
RépondreSupprimerj'espère que toute la maisonnée lira ce texte et que tu leur fera immanquablement gouter aux joies des souvenirs. (c'est ce que j'ai fait en février en Bretagne avec un bonheur non dissimulé, et la joie et le bonheur de mes enfants de découvrir ce coin qu'il ne connaissaient pas rajoute à ma joie). bravo pour ce magnifique texte ! a bientot de te lire.
Anne-Frédérique
A te lire, j'ai l'impression d'avoir fait un voyage dans le temps et dans l'espace. Je me suis délectée.
RépondreSupprimerPeut-être pourrais tu nous proposer un nouveau concept comme le "roman-patron"? On lirait une superbe nouvelle qui nous mettrait dans l'ambiance du modèle, et quand on passerait à la réalisation, on aurait toutes ces belles images et émotions en tête...
RépondreSupprimerTout ça, pour t'avouer que je te trouve vraiment douée pour l'écriture... (pour les patrons aussi bien sûr)
C'est amusant que tu y penses. J'avais imaginé à peu de chose près ce concept. peut-être existe-il d'ailleurs : Ecrire un recueil de nouvelles qui dépeindraient des personnages et proposer les pièces phares de leur garde-robe dans une planche patrons intégrée - ou la même chose version conte pour enfant - Je vais en avoir des choses à faire dans ma seconde vie ! :) Merci pour ce très gentil mot !
SupprimerBeau concept le roman-patron ! Anne-Frédérique
SupprimerTon texte est magnifique Sophie! On ne sait plus quoi dire après t'avoir lue...
RépondreSupprimerJe suis heureuse de partager ces souvenirs .. "détricotés" pour notre plus grande joie !
RépondreSupprimerReviens nous voir bien vite . j'ai hâte de
- voir éclore d'autres souvenirs d'enfance
- de fournir à mes petits-enfants un cadre ensoleillé
où ils pourront- plus tard- planter eux aussi de jolis
souvenirs..
- donner au chien- aux- yeux -d'ambre d'autres
occasion de humer la neige à pleine truffe .
Vie, Joie, Elan, chaleur ...Affection.
ps :Je suis certaine que ta seconde vie sera aussi riche que la première .
Mam .
Comme je te comprend! Je revis la même chose quand je retourne au Portugal , au village de mes parents! Tous ces mois d 'août passés là bas avec mes cousins , cousines, oncles, tantes, grands parents, toute la famille quoi! Les restos incontournables, les barbecues a la bonne odur de sardines, les marchés a la bonne odeur de poulets a la braise et toutes ces bonnes femmes qui vendent a la criée.... que de bons souvenir! Alors je te dis: oui il est important de se souvenir de ces bons moments passés! Merci pour ce beau recit je m'y serait crue ;)
RépondreSupprimerBon dimanche!
Quel plaisir de lire ces petits bouts d'enfance si bien partagés... Les images sont aussi réelles que les aquarelles ou les patrons que l'on trouve par ici... Quel talent! Je me demande comment il serait possible de pouvoir tous les concilier? Un livre, non?! Je serai une des premières lectrices!...
RépondreSupprimerhi! c'est chouette tes souvenirs, ça me fait penser à mes souvenirs de Saint Jean de Luz...
RépondreSupprimerJ'en ai plein aussi des souvenirs sur la côte Basque ;)
SupprimerNs aurions pu ns croiser! Ns étions ns aussi dans le Mercantour! Mlis
RépondreSupprimertu parles à mon estomac et au reste !
RépondreSupprimerQuel talent Sophie, tu parles d'une région que je ne connais pas, d'une vie que je n'ai pas vécue et pourtant, quelque chose dans ton texte me parle de moi. l'émotion peut-être de se souvenir, ce tricotage mot à mot des lieux et des émotions. merci pour ce texte magnifique.
RépondreSupprimerTu es décidément douée pour tout, et tu as la générosité de nous faire partager.
il est très beau ton texte Sophie. Je me suis régalée à te lire, j'avais presque le goût de Nice à la bouche, bien que je ne sois passée qu'une fois en voiture sur la Prom (je peux parler comme une initiée maintenant grâce à toi:)).
RépondreSupprimerBravo!
Superbe texte Sophie !
RépondreSupprimerBon, je t'avoue que je n'ai pas trouvé Nice sublime lors de mon passage ! Il faut dire que nous venions de Sanary, Cassis, etc . Tellement sublime qu'il est difficile d'apprécier le reste. Je me rappelle surtout du "bling" jusqu'à 90 ans ;)
Mais je te rejoins sur le pan bagnat !
Merci pour ce doux moment d'évasion. Tu as de beaux souvenirs et tu sais tellement bien écrire qu'on aurait envie d'être avec toi pour partager tout cela....
RépondreSupprimermerci pour ce voyage aux fils de tes souvenirs... vraiment il faut que tu écrives!
RépondreSupprimerCe n'est pas la première fois que je te le dis, tu es très douée! Ce texte est savoureux... tu devrais continuer! Et ce projet de livre patron, j'adore! Ca te dirait de participer à un atelier l'an prochain?
RépondreSupprimeret la prochaine fois on se verra et on fera un bout de Prom ensemble (mais à petite vitesse)
RépondreSupprimerjoli texte ,j'ai "vu" tous les endroits dont tu parles
Peu importe la beauté objective des lieux que nous avons traversé dans notre enfance, le bien-être, même fugitif, lié au début des vacances, une famille au complet, la joie du dépaysement ... nous les rend beaux. Je vais bientôt devoir me séparer d'une maison qui a abrité des souvenirs d'enfance intenses. Mais je ne le regrette pas (trop). Mes souvenirs, mes sensations, mes fantasmes de sensations sont intactes. Quel beau texte, Sophie !
RépondreSupprimerBonjour Sophie, je sais que ce n'est pas l'endroit pour te commander qch, mais je n'arrive pas à te contacter sur ton adresse pro, l'ordi me dit qu'elle n'est pas valide?? Merci de me recontacter, je t'embrasse, Isabelle
RépondreSupprimerC'est vrai, ton texte est un joli concentré de nos deux années niçoises. Ça me rappelle que je dégueulais systématiquement mon linzer au cassis dans les lacets de la route de la Tinée. C'était chouette de te voir ce week-end. Qui sait... Ma grande-soeur pourrait bien me manquer !
RépondreSupprimerCaro
C'est un bien joli texte qui me parle !
RépondreSupprimerMoi aussi, j'ai de précieux souvenirs d'enfance à Nice...
Aude
Merci Aude, je suis contente d'avoir partagé un morceau d'enfance avec vous !
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