Trois jours que je gamberge.
Homosexualité, homophobie, folie, homo ça pince, ça pue, ça crache, ça flingue, ça percute ça perd cul.
Et puis en fait non. C'est pas un roman de genre. C'est un roman social. Du Zola.
C'est cela je crois. L'homosexualité ce n'est qu'un prétexte.
Voilà.
Eddy est homosexuel. Et alors.
Il est rejeté. D'accord. Il est rejeté parce qu'il est différent. Intellectuellement.
Il est né au mauvais endroit. Erreur de largage.
Les vilains petits connards, y'en a dans tous les milieux.
Ceux qui jugent mal. Ceux qui disent que t'as rien à faire là.
Le souffre douleur. Il en faut un.
Crachats, injures, sévices.
C'est le vice. Dans tous les milieux.
Et on a l'air de débarquer !
On débarque parce que le monde d'Eddy c'est un monde fermé.
Eddy il vit dans un village paumé de Picardie. Il tutoie la misère, l'alcoolémie, le chômage, l'humidité, l'insalubrité, il tutoie le survet de nylon, les couloirs du bahut, le manger, le crachat des copains, le cul du cousin et la roue de la fortune seulement dans son poste de télé étriqué.
On regarde écartelé entre désir et dégoût, tout à fait rassuré parce que le Judas, c'est pas nous.
Judas c'est Edouard-Louis.
Eddy Bellegueule, ça ne s'invente pas.
Eddy a tout fait.
Il aurait voulu s'intégrer. Expulsé de son milieu. Casse toi tu pues, t'es pas de notre bande.
Il est de la bande des bourgeois, ces tarlouzes qui se bécotent pour se dire bonjour. Ça se lit quand il "a des airs". Quand il parle en fille, qu'il ne regarde pas la télé, qu'il dit aimer apprendre, qu'il ne veut pas jouer au foot, qu'il ne grossit pas et qu'il a les mains qui battent l'air sans pouvoir les contrôler.
La brutalité de son milieu social ne s'abat pas sur l'homosexuel. Elle foudroie la différence.
C'est de l'ignorance. C'est de la peur.
Eddy voulait bien faire, mais c'est plus fort que lui. De l'abjection naît la colère. Tant pis.
Il est homo et là est son salut.
Il frappe, comme on l'a cogné. Froidement. Il écrit. Cru. Très.
Je me demande encore, à l'heure où j'écris, s'il n'en a pas trop fait.
On détourne le regard parfois. Et tout est lié pourtant.
Eddy se vautre-il dans la sodomie à dix ans parce qu'il aime réellement ou parce que c'est pour lui la seule façon de prendre part au jeu des siens ?
Soyons honnêtes. Doit on décrire nos jeux sadiques ? Ils s'invitent, dans tous les hangars de banlieue et sous les dorures du 7 ème. Le sexe se rêve et se fantasme. Il ne se décrit pas, il se devine.
Eddy pourtant est pour moi un incontournable d'aujourd'hui. Il doit être lu. Mais il doit être lu par des lecteurs éclairés. Il est trop facile de dénoncer. Ne pas voir la pointe de tendresse et d'affection qu'Eddy porte à sa mère, cette "femme toujours en colère". Ne pas voir que son père est fier, l'air de ne pas y toucher. Ne pas voir que l'éducation passe aussi par celle des parents et que parler à tort et à travers de racisme et d'homophobie confortera les faibles dans leur machisme et agacera les classes "dites supérieures".
On nait homosexuel. Comme on nait avec de l'esprit. L'homme ne se contrarie pas. Ou alors dans la douleur. Persuader qu'on peut se fabriquer, dans un sens, comme dans l'autre, c'est exacerber les rancoeurs, provoquer les souffrances. Eddy parce qu'il veut rester lui, homme doué d'intellect avant d'être sexué se fait la belle.
Ce roman pointe du doigt un sujet bien plus dramatique que celui qu'on veut bien nous brandir sous couvert de débat sociétal.
Ce roman fait l'hideux étalage d'une éducation nationale impuissante - Pas des profs, ils font ce qu'ils peuvent les pauvres - et au delà même, complice d'un nivellement par la bêtise. Il faudrait avouer que la perte des fondamentaux - lecture, culture, respect, curiosité, partage, histoire et ouverture d'esprit- plonge les "faibles" dans un abîme d'ignorance tandis que les "forts", les autres, les gens de la ville, les bourgeois et les politiques, les puissants, s'excitent sur des sujets totalement déconnectés et vains.
Eddy de ses mains de "gonzesse" ne brasse pas que l'air de son pauvre village du nord. Il déplace des montagnes derrières lesquelles se planquent bien des sujets…
C'est cela oui. C'est un essai politique. Du Sartre.
Bellegueule…Président ?
Edouard Louis. 21 ans. Normalien.
Magnifique écrit Sophie! Et je te rejoins pleinement dans tes avis. C'est devant l'abaissement du niveau culturel, l'aliénation de la consommation, que naît la bétise. L'ignorance à la peau très dure!
RépondreSupprimerDes bises ma Soph'! JE m'en vais chercher ce livre à la Biblio!
CA
Un ouvrage captivant. !!
RépondreSupprimerDire qu'il n'a que 21 (et vraiment beau gosse (quel gâchis !)
Au lycée, l'un de mes meilleurs copains était -disait-on - homo " aucune chance avec P…Il est pédé ". Il était pote avec tout le monde. Il est vrai, je viens d'un milieu privilégié. Jamais je n'ai entendu dire du mal de P. Et il était beau ! Comme un Dieu ! et nous les filles à glousser et minauder "quel gâchis ! " ;)
SupprimerAu lycée, je n'ai eu que des filles dans ma promo :)
SupprimerEn fac (Assas), oui, j'ai eu aussi des ..P et des Eddy (peu nombreux mais cela se savait vite)
Et nous gloussions, "quel gâchis" ! Cela n'allait pas plus loin, de notre part.
Merci Sophie! Cette ouverture d'esprit fait du bien en ces temps où ça n'est pas forcément évident...
RépondreSupprimerJe trouve vraiment ton billet top...et sans doute l'un des plus mesurés jusqu'à présent quand même (on a eu l'hystérie: ce type est un génie, et le rejet absolu parce qu'il caricature sévèrement d'où il vient); j'ai hâte de me faire ma propre idée même si du coup, je le lirai avec quelques a priori quand même (après vous avoir tous lus ;-)
RépondreSupprimerc'est toi qui devrait écrire!
RépondreSupprimerComment peut-on partager ce billet si magnifique. Fond et forme. Je n'aurai rajouter qu'un mot d'esprit au moment de elle foudroie la différence. J'aurais même rajouter :"elle le foudroie d'indifférence." pas encore lu le livre mais y vais des que j'aurai un moment.
RépondreSupprimerAnne-Frédérique
Bravo Sophie.Bises:)
RépondreSupprimerSur France Culture : à écouter à l'adresse suivante :
RépondreSupprimerhttp://www.franceculture.fr/oeuvre-en-finir-avec-eddy-bellegueule-de-edouard-louis
Merci Isabelle pour le lien ! J'ai écouté cette interview . Il y en a d'autres. J'ai noté que Edouard Louis encourageait la ligne de conduite du gouvernement en matière d'ABC de l'Egalité. Je crois qu'il a raison mais dans son milieu d'origine. L'erreur du gouvernement c'est de tout mettre dans un seul sac mais aussi et surtout de nier en bloc le rôle crucial des parents dans l'éducation des enfants. Il faut éduquer les parents à l'éducation et s'il le faut les sanctionner s'ils agissent en contre-éducateurs (parce que si l'éducation au respect ♀♂ est utile à la marge, la négligence des parents est un fléau qui frappe tous les milieux ! )
SupprimerAh! Famille pourquoi autant d'inquiétudes?
Supprimertentative d'analyse par le sociologue François de Singly toujours sur France Culture : http://www.franceculture.fr/emission-l-invite-des-matins-francois-de-singly-2014-02-05 et aussi lire pour se mettre en bouche une analyse de son ouvrage "Sociologie de la famille contemporaine" ici : http://www2.cndp.fr/RevueDEES/notelecture/200803-02.htm
Que se cache-t-il réellement derrière la quête du graal de la "famille"?
Merci pour cet article de qualité : fond et forme
RépondreSupprimerTa presentation ne peut que m'inciter à lire ce qu'Edouard écrit à propos d'Eddy.
Merci pour ce partage.
Tricotille
Voilà, tu me donnes envie de lire ce roman ! Pour moi, l'important est d'accepter les gens comme ils sont, avec leur générosité, leur âme, leur gentillesse, leurs défauts… Tout le monde est logé à la même enseigne sur ce plan là. Avoir le coeur ouvert est vital !
RépondreSupprimerUne grande envie que ce livre se retrouve sur ma table de chevet. Merci Sophie !
RépondreSupprimerAttention à ne pas non plus, se laisser envahir par cette petite corde de l'effroi qui fait vibrer tout aussi bien que celle du beau, du bon et du bien. Mais pas avec les mêmes conséquences. Les mots salissent parfois. Les vôtres, ici, sont trop forts pour moi.
RépondreSupprimerEt pourtant, je ne suis pas bégueule...
Quelle est donc cette corde de l'effroi qui vous salit à ce point ? Je ne pense pas m'être effrayée de quoi que ce soit dans ce récit. J'émets juste un léger doute sur l'image du sexe. Elle aurait pu être très hétéro que ça aurait été tout autant de trop pour moi -c'est l'âge, pour préciser, qui me heurte -. Mais en toute sincérité, je ne vois pas ce qui vous a blessé, qui que vous soyez, et si vous le pouvez, éclairez moi que je puisse me justifier ou…Me faire pardonner !
Supprimer-Ah et j'aime votre conclusion, bien sûr ! ;) -
SupprimerEt bien, le sordide, le cru, décrit comme une dissection. Il y a des écritures lumineuses (et vous en faites partie d'habitude), et des écritures glauques. Alors certes, le sujet n'est pas facile. Mais j'avais l'impression, en vous lisant, d'être sur ces blogs où le choix du mot cru, violent, froid donne l'envie de fuir. De ces mots qui restent comme un goût amer au fond de la bouche. Une certaine pollution nauséeuse qui vous suit toute la journée.
RépondreSupprimerBref, ce livre, vous ne m'avez pas, mais du tout, donné envie de le lire.
Sachant que je travaille dans le domaine des galeries d'art, où la majorité des hommes sont homo, et que le sujet ne me dérange pas du tout... C'est en cela que je ne suis pas bégueule.
Juste une question d'écriture donc...
Dans un sens je suis rassurée. Je pensais vous avoir peinée par une idée peut-être. Oui, j'ai choisi les mots. En effet. Ne lisez pas ce livre. Il vous rendrait malade. C'est un roman qui déchaine les passions. Haines comme admirations, gênes comme délectations. J'ai choisi d'être brutale parce que ce livre l'est. Ce n'est pas l'homosexualité vous avez raison qui l'est, c'est la vie de Eddy. Elle est crue, nue et violente. Il faut s'y attendre en lisant Edouard Louis. Mon billet n'est pas un échec. Il passionne ou dégoute. Il est à l'image du roman. Merci pour vos explications. Je suis heureuse de vous lire. A bientôt…Je sais être plus légère vous le savez, et vous me l'avez très gentiment dit ! Merci !
SupprimerJe suis assez d'accord avec vous.Eddy n'est pas rejeté parce qu' il est homo, mais parce qu' il est intelligent.Et d'accord aussi, à ne pas mettre entre toute les mains.On y lit l'amour pour sa mère, la fierté de son père, mais c propre parents ne l'on pas lu ainsi.Les crachats'Eddy je les ais subies au collège de cambrousse où nous vivions; à cause d'une différence que je sentait, mais comprise que 20 ans plus tard..Et je ne suis pas homo.Mon mari à vécu lui cette fuite de son milieu, c extrêmement dur à vivre.Jamais à sa place dans un milieu supérieur puisque pas les codes, jamais à sa place dans celui d'où l'on est partie.Pardonne Mrs fautes d'orthographe et mon peu de style.
RépondreSupprimerJe suis certaine que tous ceux qui ont vécu des brimades liées au rejet de la différence comprendront ce livre et en seront reconnaissants à Edouard-Louis ! Dans mon milieu de citadine privilégiée, au collège et au lycée, ce n'est pas le garçon efféminé qui était stigmatisé, mais la fille en robe de gamine, couettes et socquettes blanches…Ou à l'inverse le gamin un peu trop typé banlieues, celui qui portait des fringues de supermarché ! C'est la différence qui rend les gens bêtes et méchants ! Vouloir quitter son milieu c'est une décision pénible et brutale. Les gens ne comprennent pas. Et je comprends les parents d'Edouard-Louis ! Quel choc ! Eddy est immonde en parlant d'eux ! Il les démonte littéralement ! Et pourtant, la vérité, même crue est bonne à dire je crois. Je suis certaine que ce roman est aussi un chainon manquant au progrès social ! Il est à l'inverse du politiquement correct ! Enfin, merci à vous Erwan pour votre commentaire qui me fait très très plaisir !
RépondreSupprimerUne lecture qui percute...
RépondreSupprimermerci pour ton avis Sophie ;-)
porte plume
Whaouuuu ! Moi qui pensais trouver un patron de couture, je trouve aussi une très brillante lecture. Merci.
RépondreSupprimerIl faut des livres comme celui-là pour comprendre notre société. Hélas il y a encore beaucoup trop de gens qui n'ouvrent pas de livres, dans tous les milieux, par feignasserie (je viens d'inventer le mot) par manque de curiosité, qui préfèrent se vautrer devant la télé et gober les "allo quoi !" et rester dans l'ignorance. C'est plus facile, comme dit ma nièce. Et après ça va voter FN.
J'ai vécu une situation presque similaire, le presque n'étant pas lié à la sexualité, mais à la culture, au désir d'apprendre. Maintenant à 66 ans, je suis toujours une paria pour les miens, vivant loin d'eux, mais toujours gourmande de la vie et surtout d'apprendre.
Vous lire est une raison de plus d'acheter ce livre.
Merci d'ouvrir les esprits. Fine.
Et du coup Fine. J'en perds mes mots. merci, simplement ! - Oui il faut lire lire lire, de tout. L'esprit s'enrichit de curiosité et de diversité ! - ( Ma maman doit rire, elle me l'a seriné tant de fois avant que je découvre la lecture ! )
SupprimerWaouh! Quelle critique! Je suis essoufflée rien qu'à la lire alors j'imagine même pas le livre! Jai hâte qu'il soit dispo ici...
RépondreSupprimerAprès la déclaration d'amour de Galéa je ne pouvais que me précipiter sur ton blog !! La couture et la course ne sont pas trop ma tasse de thé mais la lecture ça OUI !!!
RépondreSupprimerEt tant pis si mon 1er passage chez toi est marqué par un désaccord, c'est ça aussi la richesse de la blogo, débattre, discuter et partager des avis même divergents.
Tu l'auras compris, Eddy Bellegueule m'a déplue !
La 1ère raison et la principale tient au fait que ce livre est présenté comme un roman alors qu'il n'est finalement qu'un témoignage.
La 2ème raison est qu'il déverse une violence ininterrompue qui m'a donnée la nausée.
Et enfin je n'ai ressenti ni tendresse pour la mère ni amour d'aucune sorte envers sa famille à laquelle il réserve tout de même une véritable execution publique.
Je comprends la souffrance, le traumatisme et la colère d'Eddy Bellegueule mais on n'écrit pas un roman comme on n'écrit un témoignage ... me semble-t-il.
Bonjour Malika ! …Et merci !
SupprimerQue ce livre puisse donner la nausée…J'en conviens absolument. Il est fait pour ça je crois !
Entre récit et roman….Voilà un débat ! Quelle frontière ? En fin de compte un romancier, souvent, se sert de sa vie ou de celles des autres pour écrire. Il y aurait-il une proportion à respecter entre le fictif et le réel ? Je me pose sincèrement la question et je n'en sais fichtrement rien ! Le fait est qu'ici, clairement, c'est du témoignage ….romancé ? Aucune tendresse également, ne serait-ce pour Eddy (Avec un bémol comme je l'ai dit sur la séquence Q qui a mon sens aurait largement gagnée à être réécrite de façon, non pas édulcorée, mais moins "réaliste". Elle dessert la cause Eddy et le replace un instant dans "l'animal" ) qui est la preuve absolue qu'avec une tête bien faite, on peut tracer sa voie. Un message violent pour ce milieu qu'il juge sévèrement mais un message juste et sain !…
A bientôt ! - Et vive la blogo pour tout ce qu'elle apporte et enrichit ! -