Je Dois Dire…

que je ne l'avais pas vue venir.
Sixième kilomètre.
A l'endroit même où trois semaines auparavant je pestais sur mes orteils indisciplinés du pied droit perclus de crampes. A gauche, étrangement, ça filait droit, mais à droite, critiques, refus de coopérer et compagnie.
Sur le semi, c'était au 19 ème kilomètre.
J'y pensais à cette arrivée malgré tout victorieuse.
Le nez dans le bitume et la tête noyée dans la playlist running qui m'accompagne, volume inconsidéré, sur chaque sortie longue.
Un soupir ou une pause dans l'enchainement musical. Je l'entends de très loin.
"La dame en rose, la dame en rose !!!"
Elle me tape sur l'épaule. J'arrête ma course à contre-coeur.
C'est au sixième kilomètre qu'invariablement je commence à me sentir bien.
Elle me flingue mon élan. Elle semble le comprendre et s'excuse poliment.
"Pourquoi courez-vous ?
On fait un papier.
Après quoi courez-vous ?"
Sourire.
Elle prend son crayon, m'écoute raconter mon histoire de Flanagan, mon coup de bluff pour l'inscription au semi de Paris alors même que je me liquéfiais en bouclant péniblement trois pistes de 800 au stade du quartier.
Passage du "mur" des 6 kilomètres. Enchainement sur 10, 12 puis 15 kilomètres.
La drogue finalement. Un truc pas très net. J'ai jamais demandé ça moi. C'est que ça en prend du temps ces petites promenades régulières !
La faute à hypothalamus et sa légitime hypophyse. Jamais bien compris. Une alchimie qui se produit au bout d'une demi-heure d'effort. En deçà tu meurs. Au delà, tu ressuscites.
Je lui raconte tout en vrac.
Je lui dis en rigolant :
" Seulement vous comprenez. Quand vous faites le coq, à raconter à tout le monde que vous allez faire le semi. Easy. C'est le piège. Vous êtes O-BLI-GEE de le faire. C'est comme la clope. Dites jamais que vous arrêtez. Sinon vous y êtes obligée. Sous peine de passer pour un tiède."
Le photographe se pointe.
"J'ai un beau profil" lui dit-elle.
Beau profil. Vite dit.
Quand je vais courir au saut du lit. J'ai une gueule de saut du lit.
A l'approche de la quarantaine, y'a comme un ravalement préliminaire à entreprendre avant d'éventuellement prétendre à un "beau profil".
Merde. Je savais bien qu'il fallait que je passe chez le coiffeur.
"Souriez. Parfait. Une petite pause ? Genre comme un étirement vous voyez ? Attendez, face au bois. Ok. On y est presque."
Avant de repartir, je ne sais pas. Ça m'a pris.
Un excès de confiance. Le type était pas mal.
Je lui dis comme ça :
"Pour mes 40 ans, je m'offre la distance mythique".
Sourire entendu.
"Tenez le cap. C'est comme quand on dit qu'on arrête de fumer. L'annoncer, c'est s'y tenir !"
J'en suis encore à me demander.
Ai-je finalement bien fait d'aller courir à Vincennes ce matin là ?….